La Sultane #79 | Page 6

EDITO

Le palais murmure

J

' ai toujours aimé mes rêves . Les rêves sont un moment de répit . Refuges paisibles dans un monde en colère , ils me bercent dans une illusion d ' oubli . Une échappée loin du fracas de la guerre , loin des échos d ' une justice éphémère . Une trêve pseudo-humanitaire , indifférente aux larmes et aux cris . Dans ce lieu qui devrait être , mais qui n ' est pas , j ’ observe un monde dans un combat sans fin , pour que le meilleur l ' emporte enfin sur le pire . Le chant de l ' Homme y défie le grondement des bombes qui tombent , les fleurs jaillissent des crevasses au lieu des tombes . Le sort qui s ' acharne s ' apaise dans le refrain et suit la cadence des danses à la lumière du petit matin . Mais ce lieu n ' est pas , alors qu ' il devrait être , bien qu ' il n ' ait jamais été . Sans répit , la discorde de notre monde gronde . La faucheuse y est sollicitée à chaque heure et à chaque seconde . Les peurs et les haines se conjuguent à l ' imparfait de l ' oppression . De l ' Ukraine aux génocides ignorés au Congo et au Soudan . Sans oublier l ' épuration ethnique qui sévit en Palestine , où la riposte démesurée déchire mon humanité et me lamine . Notre quotidien est dorénavant polarisé . Il oscille entre islamophobie , antisémitisme et autres peuples mal-aimés . Pourquoi avoir délaissé nos valeurs universelles de justice et d ' égalité ? Du droit à la vie , à la patrie et à la liberté ? Que de rudes épreuves pour nos âmes désolées . Parties à la conquête de la lumière ! Cela ne devait être qu ' un simple itinéraire . L ' itinéraire devint quête . Une quête pour le salut , une quête pour la paix . Une entité à la recherche de son unité pour parvenir à son unicité . Savoir plier , en dépit de grandes tensions , garder sa force , autant que se peut , la renouveler , s ' évanouir si nécessaire , pour régénérer et ne pas disparaître . Ne pas se briser sous la pression de toutes ces fêlures . Ne pas défaillir en dépit des failles qui creusent nos entrailles . Ne pas laisser le néant nous engloutir . Ne pas céder à la facilité , et surtout vouloir et continuer à vouloir pour enfin plier le monde ... Pour qu ' il obéisse , et se laisse façonner par cette même volonté ... Celle-là même qu ' il faudra défendre . Cela prend du temps , mais cela se fait ... Et cela s ' est fait . Raisonner dans le calme . Patiemment , malgré le tumulte d ' un cœur affolé . Aimer . Intensément . Aimer . Éperdument . Demeurer forts , pour toutes les personnes aimées . Tendre la main vers toutes celles que l ’ on aime . Vivre et revivre une agonie pour ne pas agoniser toute une vie . Aimer et sourire , envers et contre tout . Envers et contre tous . Serrer la main d ' une âme en peine , sans frissonner , sans se détourner ... Essuyer cette larme qui coule sur cette joue , écouter ce sanglot , calmer ce hoquet . Voiler son propre regard , passer sous silence ses propres impératifs , taire sa propre douleur ... Et sourire . Sourire à cet être blessé , à toutes ces personnes . Et chercher le bon mot . Le mot ? Les mots ! Ceux qui sauront parler , ceux qui conviennent . Et aimer malgré tout . Envers et contre tout . Aimer le défi parfois . Défier par amour , souvent . Tandis que le silence se fait . Les mots se taisent par respect . Respect pour cet état d ' âme , pour cette lumière , pour cette paix . Aimer même quand on ne l ' est pas , même quand on ne l ' est plus ... Autant le dire : quand on ne l ' est plus , cela veut dire qu ' on ne l ' a jamais été . Aimer donc pour continuer à vivre et sourire pour continuer à aimer . Pour que l ' amertume soit moindre ... Le sourire adoucit toute chose , même le temps qui coule et s ' arrête au pied de cette volonté , de cette folie qu ' est devenue notre vie . Et finalement exister , dans un rêve devenu réalité par notre force d ’ aimer .

Houda Chouk

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NUMÉRO # 79