La Sultane 67 | Page 23

Esprits Nomades

Les palais mal-aimés

Des Beys de Tunis

C ’ est une vérité bien triste à dire mais force est de reconnaitre que la ville de Hammam Lif n ’ est plus que l ’ ombre d ’ elle-même . Pour s ’ en rendre compte , il suffit de s ’ y promener quelques instants . L ’ on est choqué par toutes ces maisons laissées à l ’ abandon . Par ces détritus qui jonchent le sol . Par ces rats qui parcourent de longues distances sans être inquiétés de quoi que ce soit . Leurs chasseurs prédestinés : les chats sont bien trop engraissés par les grandes quantités de nourriture périmée entassées à la sortie du marché . L ’ ancienne salle de cinéma L ’ Oriental jadis fréquentée par les cinéphiles , est aujourd ’ hui un vieux bâtiment en ruines . Un vestige encerclé de cafés bondés de monde et autres sandwicheries vendant des mets qui laissent à désirer comme les mellaoui et autres fricassés , frits avec la même huile depuis une semaine . Il en est de même pour le Casino . Ce lieu de rendez-vous pour personnes branchées et ancienne salle de mariage où les couples se pressaient pour fêter leur union , est tombé aux oubliettes , devenu une sorte de manoir hanté . Que dire alors de la plage qui regorge de sacs et bouteilles en plastique , de canettes de bières , de bouteilles cassées … comme un air de Fukushima vous ne trouvez pas ? Mais que s ’ est-il passé ? Pourquoi vouer à cette ville et donc à nous-même tant de haine et de mépris ? Pourquoi la station balnéaire de Hammam Lif où les européens rêvaient de passer ne serait-ce qu ’ une journée est devenue une sorte de cauchemar éveillé ?

Certains habitants font bien de la résistance et mettent tout en œuvre pour que la ville renoue avec son prestige d ’ antan , mais c ’ est semble-t-il peine perdue . Est-ce dû au manque de ressources budgétaire ? Surement pas , l ’ argent coule à flot . À une volonté politique peut-être , à la fois au niveau local , régional et central ? Très probablement . Mais les bretelles d ’ autoroutes que l ’ on construit actuellement dans les environs font planer l ’ espoir d ’ un avenir meilleur pour celle que l ’ on surnommait la Perle du golfe de Tunis . Car oui , cela n ’ a pas toujours été ainsi . Il y a quelques décennies encore , ceux qui gouvernaient la Tunisie y avaient édifié un palais de toute beauté . Situé à 20 kilomètres de la capitale , Hammam Lif était il y a plus d ’ un siècle une destination de rêve pour les tunisiens de tous horizons . Elle était connue à l ’ échelle méditerranéenne pour la qualité de sa plage de sable fin et ses eaux très poissonneuses . C ’ était la destination des vacanciers en provenance de la capitale et de sa banlieue qui y séjournaient en été . Les monarques de la dynastie husseinite avaient progressivement pris l ’ habitude , dès le XVIII e siècle , d ’ y séjourner de plus en plus souvent durant l ’ hiver . Ils portent un intérêt tout particulier aux bains de Hammam Lif qui les poussent à y élever une résidence pérenne . Un pavillon voit le jour vers 1750 , sous le règne de Ali Ier Pacha ( 1735-1756 ), grâce aux eaux thermales qui surgissent au pied du Djebel Boukornine par deux sources dénommées Aïn El Bey et Aïn El Ariane .

La perle du golfe de Tunis

En 1826 , Hussein II Bey ( 1824-1835 ) décide de construire un palais à côté d ’ un caravansérail et la majeure partie de cet édifice subsiste actuellement . L ’ édifice comprend , à l ’ achèvement des travaux , un corps de bâtiment avec rez-de-chaussée massif et deux étages , percés de vingt fenêtres avec auvents donnant sur la mer . À l ’ angle nord-ouest du palais , Hussein II Bey fait édifier un kiosque , Bit el-Makaaad , une sorte de galerie couverte mais non fermée , où il passe ses heures de repos . Il construit également des bains privés , accessibles de l ’ extérieur . Réservés au seul usage des femmes ces bains sont complétés par un second bain ouvert aux hommes , dans la partie opposée du palais . Mohammed Bey ( 1855-1859 ) agrandit d ’ un troisième étage le palais d ’ Hussein II Bey . Il modifie , également Bit el-Makaaad . Sous le règne de Naceur Bey ( 1906-1922 ), le troisième étage , qui menaçait ruine , est supprimé . Cependant , il restaure et aménage plusieurs salles , ainsi que les appartements de service . Depuis Hussein II Bey , et à l ’ exception de Ali III Bey ( 1882-1902 ) et de son fils Hédi Bey ( 1902-1906 ), tous les souverains ont séjourné au palais jusqu ’ à l ’ abolition de la monarchie en 1956 . Par la suite , des familles dans le besoin l ’ occupent et le transforment en demeure collective . De nos jours , en l ’ absence de restauration , le palais se trouve dans un état de délabrement avancé et représente un grand danger pour ses habitants puisque les toits et plafonds menacent de s ’ écrouler à tout moment . D ’ autres palais et demeures des beys disséminés sur Tunis et sa banlieue rivalisent de beauté .

Palais Abdellia

Le règne des Beys Husseinites a duré de 1705 à 1957 . Deux siècles et demi durant , la ville de Tunis , avec ses banlieues connues pour leurs collines verdoyantes et leurs jardins de charme , a logé plusieurs résidences beylicales qui présentent jusqu ’ à nos jours une richesse du patrimoine architectural en Tunisie . Comme le palais Abdelliya , situé à La Marsa . Construit en 1500 , à l ’ emplacement du vieux port , il est devenu au XVII ème siècle et au XVIII ème siècle une résidence estivale pour les Mouradites et les Husseinites ainsi qu ’ un abri lors de menaces extérieures . Mahmoud Bey ( 1814-1824 ), son fils Hussein II Bey et les consuls britanniques Richard Wood et Thomas Reade représentent les personnalités notables qui ont habité ce palais . C ’ est aujourd ’ hui un lieu de rencontre et de partage pour tous les passionnés d ’ art puisque de nombreuses manifestations culturelles qui y sont organisées .

Kobbet Ennhas

Le palais Kobbet Ennhas (« Coupole de Cuivre » en français ) a été édifié par Mohamed Errachid Bey vers 1756 en tant que résidence printanière située dans la plaine de La Manouba , réputée notamment pour ses terres et la qualité de son air . Hammouda Pacha Bey a été l ’ artisan de ses principaux aménagements et Mustapha Pacha Bey , petit-fils de Mohamed Errachid Bey , fût le dernier bey à y avoir habité . Tous faisaient partager ceux-ci non seulement à leurs entourages , mais aussi à certains personnages étrangers qu ’ ils désiraient honorer et recevoir dans un lieu agréable et discret . Les visiteurs y découvrent une grande cour d ’ honneur plantée d ’ arbres , une large façade avec galerie surhaussée au-dessus des dépendances à laquelle on accède par un large escalier d ’ honneur , la galerie d ’ accès donne de plain-pied dans la driba puis bit el driba deux antichambres carrées qui se doublent d ’ une squifa plus étroite pour desservir pièces voisines et cour intérieure . Un salon de plan quadrangulaire occupe la partie antérieure du palais . Sans oublier la grande salle d ’ apparat surmontée de sa coupole . Plusieurs chambres annexes . Un kiosque à coupole de cuivre qui donne son nom au palais ( Kobbet Ennhas ) et c ’ était là une des distractions réservées aux femmes du harem . Comment ne pas évoquer les orangers citronniers et figuiers qui y pullulent ?

Palais de la Rose

Le palais de la Rose a été construit en 1793 sous le règne du Bey husseinite Hammouda Pacha ( 1782-1814 ). Il constitue l ’ une des plus grandes merveilles de l ’ art architectural tunisien . Il fut connu d ’ abord par la population sous le nom de « Grand Palais » ou celui de « Borj El Kebir ». Le palais assura tout au long de son histoire des fonctions multiples . Il fut utilisé d ’ abord comme lieu de repos et de promenades printanières … pour abriter dès 1840 la caserne de l ’ artillerie puis celle de la cavalerie sous le règne d ’ Ahmed Bey . Il est utilisé plus tard comme résidence des hôtes illustres de la Tunisie , dont l ’ amiral français Lassègue en 1802 et la reine Caroline de Brunswick en 1816 . Il servira de quartier général pour les troupes d ’ occupation française en 1881 . Grâce aux efforts consentis par le Ministère de la Défense Nationale , qui a pris en charge les travaux de réfection et de restauration , le palais recouvre sa splendeur . Il a été décidé de faire de ce monument le Musée Militaire National . Inauguré le 25 juin 1984 et ouvert au public le 24 juin 1989 , il abrite actuellement de riches et précieuses collections comprenant plus de 23.000 objets . L ’ accès au palais se fait via la porte principale , au travers d ’ un premier jardin et une allée centrale se terminant par la grande porte d ’ entrée du vestibule ( driba ). Celle-ci , longue d ’ une vingtaine de mètres , comporte de part et d ’ autre de petites cellules avec des banquettes destinées aux visiteurs . La driba se termine par une deuxième porte , ouvrant sur une grande cour pavée de pierres et encadrée par des arcades posées sur des colonnes de marbre . À droite de la cour se situent une petite mosquée précédée d ’ un patio , un portique à double rangée d ’ arcades et un grand jardin ; alors que sur la gauche se situent un espace réservé aux services et un bâtiment de deux étages . Au fond de la cour se dresse le palais lui-même auquel on accède par un escalier accédant à un portique précédant le bâtiment . Les salles du palais sont aménagées autour d ’ un luxueux patio , centré sur un grand bassin et une fontaine , et entouré d ’ une galerie sur les quatre côtés . De part et d ’ autre du patio se trouvent des appartements typiques avec des chambres en forme de « T » et des maksouras . À l ’ extrémité du patio s ’ élève une salle d ’ honneur de forme en croix , dont le centre est surmonté d ’ une coupole où est suspendu un grand lustre .

Ksar Saïd

Unique résidence beylicale du XIX e siècle , le palais était le lieu de résidence d ’ Ismaïl Essounni haut dignitaire de la dynastie husseinite et beau-frère des souverains Mohammed Bey et Sadok Bey . Sadok Bey prend possession , après l ’ exécution d ’ Ismaïl Essounni en 1867 du Ksar Saïd ou « Palais bienheureux » et s ’ y installe en 1869 après y avoir introduit des modifications marquantes . Le palais de Ksar Saïd a connu la signature du traité du 12 mai 1881 , qui marque le début du protectorat français de la Tunisie .

Palais Bardo

À l ’ origine , le Bardo était un parc de plaisance hafside . Les travaux de la construction du palais du Bardo ont été commencés par le bey Mohamed ( 1855- 1859 ) et achevés par son successeur Mohamed Essadok ( 1859 – 1882 ). La façade de ce monument a été lors de l ’ édification simple , puis dotée d ’ un portique suite à des travaux de réaménagement en 1968 . La création du musée du Bardo fut décidée par le décret du 7 novembre 1882 . En mars 1885 , un deuxième décret affecta aux collections archéologiques , déjà constituées , l ’ ancien palais beylical du Bardo . L ’ inauguration officielle du musée a eu lieu le 7 mai 1888 . Il s ’ appelait alors « Musée Alaoui », du nom du souverain régnant Ali Bey ( 1882- 1902 ). Lorsque la Tunisie accéda à l ’ indépendance , en mars 1956 , il fut élevé au rang de musée National . Il est à noter qu ’ il existe une page Facebook intitulée « Sauvons les Palais Beylicaux de Tunisie » qui lance un cri d ’ alarme pour sauver les Palais Beylicaux de Tunisie et pour qui la réhabilitation de ce patrimoine national est une source d ’ enrichissement de notre tourisme culturel . Il en va de tout un chacun , de tout tunisien et de toute tunisienne , fruit d ’ un formidable brassage ethnique que nous sommes et ce depuis la nuit des temps , d ’ œuvrer à préserver ce prestigieux et glorieux passé qui est le notre .
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Waley Eddine Messaoudi
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NUMÉRO # 66